Avec les taux négatifs et la chute des rendements des placements, nos retraites ne cessent de baisser, à tel point que même les jeunes s’inquiètent. Notre dossier et le témoignage de dix Romands.
Quand on lui dit qu’un sondage national publié début décembre atteste que la retraite est désormais le souci numéro un des Suissesses et des Suisses et que même des trentenaires s’inquiètent pour cette période de la vie dont nul ne sait de quoi elle sera faite, le conseiller national et avocat genevois Christian Lüscher répond que le fait de pouvoir se projeter ainsi dans le futur est, au contraire, le signe d’un peuple heureux.
On pourrait en rire si la situation n’était pas aussi alarmante. Et je pèse mes mots, dès lors que, à deux ans de la retraite, je suis bien placé pour mesurer la gravité du problème. En cinq ans, la rente estimée de mon 2e pilier a ni plus ni moins fondu d’un quart. Ce qui est le cas de la grande majorité des assurés actifs du pays. Selon une étude de Swisscanto, une fondation qui gère la prévoyance professionnelle de plus de 50 000 salariés travaillant dans 6000 petites et moyennes entreprises (PME), la rente moyenne que touche un retraité (AVS + 2e pilier) est passée de 5357 francs par mois en 2013 à 4741 francs en 2017. Soit 616 francs de moins en quatre ans.
Et ce n’est pas fini, prévient l’étude de Swisscanto, en donnant un deuxième exemple de ce qui nous attend. Celui d’un citoyen lambda ayant cotisé toute sa vie au 2e pilier et à l’AVS, gagnant 6500 francs par mois à l’âge de 65 ans, et touchant 4230 francs de retraite. Soit autant qu’un working poor (travailleur pauvre) en Suisse. Réjouissant…
1800 francs par mois pour vivre
Le calcul n’est pas si compliqué à faire, en fin de compte. Bien qu’aucune statistique ne le démontre, on peut estimer, après consultation de spécialistes, que l’avoir moyen du 2e pilier d’un salarié suisse se situe entre 400 000 et 500 000 francs à l’heure de sa retraite. Selon Aldo Ferrari, président du conseil de fondation de la Caisse inter-entreprises de prévoyance professionnelle, seulement 10% de ce capital provient de la part obligatoire. Une part qui bénéficie encore – mais plus pour longtemps – d’un taux de conversion de 6,8%. Les 90% restants sont, eux, transformés en rente avec un taux de conversion moyen qu’on peut estimer à 5,5% actuellement. Mais pas mal de caisses ont déjà abaissé ce dernier au-dessous de 5%. A cela, vous ajoutez 2370 francs par mois d’AVS, si bien sûr vous avez cotisé durant les quarante-quatre ans exigés (voir par ailleurs), et vous obtenez, à quelques francs près, le montant de votre retraite.
De cela, vous déduisez les dépenses obligatoires telles que le loyer, les impôts, l’assurance maladie, un «trio pack» représentant en général plus de la moitié du revenu. Vous trouverez alors ce qu’il vous reste réellement pour boire et manger, vous habiller, téléphoner, surfer sur internet, vous déplacer, payer d’éventuels frais de santé (dentiste), des assurances diverses et vous divertir.
Selon un responsable zurichois du conseil en matière d’endettement cité par la Tribune de Genève, 1800 francs par mois. Autant dire qu’on est bien loin de l’article constitutionnel stipulant que notre système de sécurité sociale doit permettre aux assurés de maintenir leur niveau de vie après la retraite. Et encore, ces chiffres reflètent la situation d’un citoyen moyen. Mais qu’adviendra-t-il des 140’000 à 300’000 travailleurs officiellement considérés comme pauvres?
«Abaisser les rentes ou augmenter l’âge de la retraite. Ou les deux…»
Pour justifier cette baisse constante des prestations, baisse soit dit en passant assumée uniquement par les assurés depuis 2013, les caisses et les autorités brandissent conjointement l’allongement de l’espérance de vie et l’arrivée massive à la retraite des baby-boomers, cette génération de personnes nées entre 1946 et 1964. Un argument qui fait bondir Aldo Ferrari, vice-président du syndicat Unia. «Dans les faits, c’est correct. Mais cela fait un demi-siècle qu’on sait que, tôt ou tard, ces personnes arriveront à la retraite. Et qu’a-t-on fait pour anticiper ce problème? Rien!» tonne le Vaudois, qui ne voit qu’une solution pour améliorer la situation: renforcer l’AVS par un 13e mois.
Un projet légitime, mais qui ne manquera pas de faire débat à l’heure où Compenswiss, l’organisme qui gère les fonds de compensation de l’AVS, de l’AI et de l’APG (assurance perte de gain), annonce une perte de 1 à 1,5 milliard pour 2018. «Il faut songer à abaisser les rentes ou à augmenter l’âge de la retraite. Ou les deux», clame Manuel Leuthold, son président. Preuve que la situation se détériore, «même une personne ayant un revenu médian appréciable touche aujourd’hui une rente de vieillesse de l’ordre d’un salaire faible», souligne un responsable zurichois de la Conférence suisse des institutions d’action sociale.
Pas étonnant, dans ce contexte, que de plus en plus de retraités fassent appel aux prestations complémentaires pour survivre. Mais jusqu’à quand le système pourra-t-il absorber cette explosion des demandes avant de diriger les gens vers les services sociaux? «C’est dommage d’en arriver là», estime, impuissant, Charles Juillard, vice-président du PDC suisse, en confessant ne pas avoir de recette clés en main pour remédier au problème. «S’installer au Portugal, en Espagne, en Thaïlande pour mieux vivre? C’est souvent un calcul à courte vue. J’en connais qui sont rentrés de leur exil après avoir épuisé leur pécule ou avoir été déçus par le système de santé et la qualité de vie de leur pays hôte», confie le politicien jurassien.
«Couper la queue du chien pour lui donner à manger»
Autre piste, augmenter drastiquement la TVA pour financer les assurances sociales. Une fausse bonne idée, aux yeux de la conseillère nationale UDC Céline Amaudruz. «La TVA touche tout le monde, mais frappe plus fortement les petits revenus, dont font partie les rentiers peu favorisés. En augmentant la TVA, c’est comme si on coupait la queue du chien pour lui donner à manger», illustre-t-elle. Comment faire alors? Cette question taraude et inquiète pratiquement un Suisse sur deux, désormais. Il devient urgent d’y répondre…